Quelle chance avons-nous d’avoir eu Jacques Lacan.

Ses reprises très freudiennes nous viennent immédiatement, comme des phares, dans ce séminaire bien intitulé, le transfert dans tous ses états : « le transfert dans sa disparité subjective, sa prétendue situation, ses excursions techniques. » Sans oublier, que, si le transfert c’est l’amour, l’inverse peut être vrai. Quid de l’analyste ? J’ai été très frappé de cette remarque de bon sens, dans le fond, - mais c’est tellement simple :
Lacan dit quelque part, donnant ses « conseils aux analystes » : d’abord, surtout, le psychanalyste ne doit rien faire qui entrave le processus.
 
D’une part : « La voie de l’apathie stoïcienne, le fait qu’il reste insensible aux séductions comme aux sévices éventuels de ce petit autre au-dehors en tant que ce petit autre au-dehors a toujours sur lui quelques pouvoirs, petit ou grand, ne serait-ce que ce pouvoir de l’encombrer par sa présence, est-ce dire que cela soit à soi tout seul imputable à quelque insuffisance de la préparation de l’analyste en tant que tel ? Absolument pas en principe. » (C’est moi qui souligne).
 
Une ligne plus loin Lacan poursuit : « De la reconnaissance de l’inconscient, nous n’avons pas lieu de dire, de poser qu’elle mette par elle-même l’analyste hors de la portée des passions. » (p. 220-221 Éd. du Seuil) Puis : « je dirais même mieux, mieux il sera analysé, plus il sera possible qu’il soit franchement amoureux ou franchement en état d’aversion, de répulsion, sur les modes les plus élémentaires des rapports des corps entre eux, par rapporte à son partenaire. » Et si cette apathie est possible, c’est que l’analyste est possédé d’un désir plus fort que ce dont il peut s’agir, à savoir d’en venir au fait avec son patient, de le prendre dans ses bras, ou de le passer par la fenêtre … cela arrive … j’augurerais même mal de quelqu’un qui n’aurait jamais senti cela., j’ose le dire. »
 
« L’analyste dit : « je suis possédé d’un désir plus fort  ». Puis, encore, d’autres formules positivement choc viennent : « Là où on vous aime, il convient de désirer. » Et, depuis déjà longtemps : « Le désir de désir insatisfait. » …
 
Or, là, nous avons à faire avec l’imaginaire séducteur d’un film, et de son metteur en scène. « Il faut hypnotiser le public. », dit d’ailleurs David Cronenberg dans l’interview qu’il a donné au journal Le Monde 21 décembre 2011. Pourquoi ? Pourquoi faire de la question –la séduction, le transfert-qu’en faire ?- le lit de son film ? Il va ignorer le travail qui se fera en Sabina Spielrein, l’élaboration de la passion amoureuse et sexuelle qu’elle a connue avec C. Jung, qui l’amènera, avant Freud, à identifier quelque chose pouvant s’appeler l’instinct de mort.
 
Le film ignore tout ce champ de transferts puissants qui travaillaient à cette époque le milieu freudien, et reste peu loquace sur les échanges Jung – Freud, - questionnement essentiel qui sera repris dans « Observations sur l’amour de transfert » en 1915. 
 
Ne l’oublions pas, « l’apathie » requise, selon le mot de Lacan, ne démet pas l’analyste de son désir, l’x du désir. Certes, il ne doit pas, d’abord, et de façon élémentaire (?) entraver le processus, mais mieux : il est point d’origine. Dans ce même séminaire « Le Transfert » Lacan le dit de façon magistrale : l’analyste donne le coup d’envoi du processus de l’amour, … et l’arrête avant son accomplissement. Où prend tout son sens cette jolie déclaration : « la résistance du patient, c’est celle de l’analyste. » On pourra parler du contre-transfert bien sûr, utilement. Mais le transfert de l’analyste est premier.