Moreno et Freud commencent au même endroit.

Même si pour l’un c’est dans les jardins de Vienne, et pour l’autre dans son cabinet, à l’intérieur. Tous deux reçoivent, sollicitent, la vie pulsionnelle de ceux qui viennent à eux ; ils sont mobilisés par le quotidien du symptôme, de la plainte, du malheur, de l’exaspération. Mais ils ne vont pas traiter les choses identiquement. Freud dit : « wo es war, soll ich werden. » (là où c’était, le je dois advenir),  pendant que Moreno, ne se préoccupe en rien d’une quelconque levée de refoulement, et en appelle à la spontanéité, à se rebeller contre la répression, « ouvrez les boîtes de conserve culturelles ! ». 
 
Il n’a pas eu le temps d’observer que l’effet cathartique du théâtre s’exerce aussi dans la cure analytique (le mot de « cure » a été conservé ; l’expression anglaise est très parlante, « sweeping by », si on osait l’écrire : un balayage « par là à travers, par où çà passe, par où çà fait du bien ».) Mais la catharsis n’est pas la caricature de ce qui en a été dit, ‘décharge’, réduction qui a permis à une bonne partie de la communauté analytique d’ostraciser « le médecin viennois ». Elle est dans la cure analytique : sur le divan, le patient est sujet traversé, traversant, de sa parole.
 
Moreno, imaginant le passage de la catharsis de l’acteur, à la catharsis du spectateur, opère un déplacement analogue à celui de Freud qui abandonna l’hypnose et la suggestion pour inviter son patient à  la seule association libre. L’un et l’autre ont mis le patient au centre, dans sa réalité psychique la plus intime et prosaïque. Ainsi de Lila mise au centre de la réalisation dramatique de ce qu’elle vivait, dont le Docteur Verazio s’est fait le porteur et défenseur. 
 
Donner à lire en français « la Lila de Goethe » devenait essentiel.
 
Terminons avec cette belle formulation, - d’un philosophe : 
 
« (…) Il n’y a pas de « découverte » freudienne et l’ « inconscient » n’est pas un organe. Mais il y a bel et bien une invention : celle d’un récit. Là où l’homme était raconté venant d’un créateur ou bien d’une nature, là où il était promis à une vie céleste ou bien à la survie selon l’espèce, là même s’introduit une autre provenance et destination. L’homme vient d’un élan ou d’une poussée qui le dépasse - qui dépasse en tous cas de beaucoup ce que Freud désigne comme le « moi ».9 
 
On retrouve ce mouvement, du théâtre, au psychodrame et à la psychanalyse : là où j’étais raconté, je me raconte et je joue ce qui m’est arrivé.