L’époque de Moreno, et son maintien jusqu’à nous.

Un homme de théâtre bordelais, (Guy Dumur, décédé en 1991), présente l’édition du Théâtre de la Spontanéité avec ce titre, assez bien trouvé, bien qu’un peu ironique : « L’ouvre-boîte du Docteur Moreno ». En peu de mots il résume pourtant avec justesse la pensée morénienne : « Le but, c’est la connaissance du moi, à une époque, pense-t-il, qui nie l’individu et la participation active. (…) Il se situe dans une époque de rupture et de rébellion. Il souhaite tout bonnement que tout un chacun puisse accéder à un haut degré de conscience, en créant son espace imaginaire. Au lieu d’un théâtre des auteurs et des acteurs, il veut faire le théâtre du public. C’est un acte de réconciliation et, au-delà, une tentative pour abolir nos contingences ».  L’ambition de Moreno est grande, comme forte est sa confiance en la nature humaine. Cet espace mental, il le définit « comme le lieu où notre éternelle question du libre arbitre trouve une réponse adéquate »7. 
 
Il n’a pas caché, qu’enfant il s’amusait à jouer de petites pièces de théâtre, avec ses camarades. On jouait à Dieu ! Et c’est lui qui en prenait le rôle. Il est clair qu’il y a une manière christique chez lui d’appeler à se libérer. Mais rien de moins religieux que cet appel, aucune croyance dans un au-delà. Il serait plutôt un Christ faisant dégager les marchands du temple ! C’est en 1920 qu’il écrit, - il vit encore à Vienne : 
 
« Jamais l’individu n’avait paru plus insignifiant. Le verdict cumulé de la science était que l’univers qui environne l’homme pouvait tourner sans lui. Il n’était que l’un de ses sous-produits. Sa disparition ne changerait pas l’avenir du monde. »8 Quelle actualité ! Moreno se fait le promoteur du plus sain athéisme : il ne table pas sur un sauveur, mais sur ce fait que rien ne nous arrive, ni a fait ce que nous sommes, qui ne soit venu par « l’autre », si bien nommé par Freud, ‘Nebenmensch’, l’homme proche, le voisin, le premier visage que nous rencontrons. Il est utile de citer ce qui suit, au même endroit :
 
«À l’heure des heures les plus sombres de l’humanité, lorsque sa civilisation religieuse s’écroulait sous les assauts des armées, des soldats et des camarades, mon premier mouvement fut de donner à l’homme une nouvelle vision de Dieu, et de lui faire voir, dans un éclair, la religion universelle du futur, qui, j’en était sûr, unirait finalement et pour toujours, tous les peuples en une seule communauté. Au moment où les hommes se trouvaient dans la plus grande détresse, où le passé semblait une illusion, l’avenir une calamité et le présent un passe-temps fugitif, je formulai (…) l’antithèse la plus radicale de notre époque, en façonnant mon « je », le « je » et le « Soi » de la misérable créature humaine, à l’image du je et du Soi de Dieu, le Créateur du monde. Dès lors, il n’était pas nécessaire de prouver l’existence de Dieu, ni la création du monde par lui, si le « je » qu’Il avait créé avait pris part à sa propre création et à celle des autres. » Et c’est ainsi que Goethe a voulu Lila, et son Docteur Verazio.